Thursday, December 6, 2007

Le Making Of

Aout 2006 : la solitude du scénariste de fond
Je sors d'une monstrueuse aventure collective, le tournage de Ma fille, mon ange. Cette épopée a débuté deux ans et demi plus tôt sur ma table de cuisine, tout seul à rédiger cette idée. Ensuite, j'avais travaillé des mois en binôme durant l'écriture du scénario. Le financement acquis, une multitude de personnes s’étaient greffées à l'équipe, et cela, jusqu'au tournage, qui au fil des jours était devenu une immense fourmilière grouillante et bruyante, totalement impersonnelle dont chaque élément avait une idée bien précise de ce qu’il faudrait faire. Progressivement, je m'en suis éloigné. J'avoue, on ne m'a pas retenu non plus. Les gens du cinéma aiment dire au scénariste qu'il doit savoir se détacher de son "bébé". Une vraie ritournelle sitôt que tourne la manivelle. Ce 19 aout, je viens de visionner le premier montage du film. J'ai alors l'irrésistible besoin d'accomplir quelque chose tout seul, sans que personne n'y mette son nez. Juste pour pouvoir pleinement l’assumer.
Le moment est venu de tenter de réaliser un vieux rêve : écrire un roman...

19 aout : aller au bout de ses rêves
Je n'ai pas à chercher une idée, je l'ai depuis 5 ans. Tout ce qui est dans le livre aujourd'hui figure sur les 3 pages posées devant moi, rédigées sous le titre de Glace amour.Avant d'entamer la première ligne, j'annonce à tout le monde autour de moi que je vais écrire un roman! Comme je travaille dans un café, je sais que chaque matin quelqu'un va me dire : "Alors, il en est où ton roman?". Avec mes amis, j'en fais de même. J'ai l’audace de préciser que je compte le terminer avant Noël. Pour m’en assurer, j’indique dans ma mini biographie qu’on me demande pour la promo de Ma fille, mon ange, que mon premier roman sera publié en 2007. Je suis cerné. Je n'ai d'autre issue que de l'écrire...

20 aout : Rendez-vous à Noël
7h40, Café République, rue Bernard, je crée le dossier sur mon ordinateur le dossier « Le_livre ». Je n'ai jamais connu l'angoisse de la page blanche, mais en entamant le premier paragraphe, je me demande si je vais être capable d’écrire un vrai long manuscrit et non une simple nouvelle. Mes doutes sont rapidement dissipés. Même si j'étire quelques passages de peur de manquer mon objectif, je ressens vite une évidence : mon histoire est tellement claire dans ma tête, surtout son aboutissement, que je sais pouvoir nourrir tout le manuscrit. Avec le recul, je crois qu'écrire un roman n'est pas se demander "ce que l'on va écrire", mais plutôt "comment on va l'écrire?".

22 aout : Le livre à son titre
En deux jours, 30 pages sont déjà écrites. Si j'ai toujours su que les poissons de Boris devaient aller dans la baignoire, je me demande alors comment faire pour les y amener. Bien entendu, l'idée de la température de l'eau qui doit rester chaude pour les poissons exotiques est évidente. Mais c'est bien maigre pour tenir durant toute une histoire. Surtout que je reste planté dans l’anecdote.
Je me repasse alors toutes mes idées, enfin tous les moteurs d'idée, des cas, des théories, des sciences, les histoires des amis, des lectures de magazines ou sur internet. Je fouille dans les notes de mon disque dur. Qu’est-ce que Boris peut bien étudier? Et soudain, je me souviens!
Mon très proche ami Cyrille, Russe d’origine, terriblement français de comportement, est un as de la théorie des noeuds. Il a effectué de nombreuses recherches, financées par le gouvernement, pour en établir une représentation mathématique. Il m'en a parlé tant de fois que je la connais par coeur. J'avais gardé ce thème dans l'idée d'en faire un thriller, mais sans vraiment le pousser. Heureusement… La théorie des noeuds je vais m’en servir pour les poissons!
De suite, je rédige le troisième chapitre, la théorie de Boris avec ses poissons et je le fais lire à Cyrille. Flatté, excité à l’idée qu’on s’intéresse enfin à ses travaux, son verdict tombe "C'est exactement ça!". On se quitte dans une virile accolade.
Je sors dehors, il faut beau, très chaud. Entre deux cigarettes, le titre du livre me tombe dessus, Le froid modifie la trajectoire des poissons! Je le teste les jours qui suivent autour de moi. Tout le monde l'aime. Autour de cette théorie, je décide de tisser tout le propos de fond. À partir de ce moment, les pages vont s'enchainer à un rythme fou. Je suis d’autant plus dans le « jus » que durant cet automne je dois livrer 4 ou 5 scénarios de 30 pages pour une série documentaire.

22 septembre : un beau voyage
Il ne m'a fallu qu’un mois pour écrire les 120 premières pages. De plus, il y a 15 jours, j'ai rédigé les 5 dernières. Pourquoi? Parce qu’il m'a vite paru évident de savoir précisément où je devais pointer. Beaucoup de personnes qui me demandent des conseils pour des scénarii ou des romans me viennent avec le même problème : je ne sais pas comment finir mon roman ou mon scénario? Trop souvent cela arrive parce que l'auteur n'a qu'une vague idée de son point de chute. En fait, il garde la fin pour la fin. Souvent, le propos finit par s'égarer et se dissocier de son début. À mon avis, si le final d'une fiction est figé dés les premiers mots, on maîtrise parfaitement les courbes dramatiques et tous les éléments du contenu se rapporteront à l'histoire.
L’analogie que j’aime employer est celle d’un départ en vacances.
Je pars en vacances = Je vais écrire un roman.
Je veux aller à la mer = voici mon sujet.
Je vais aller dans le Maine = Voilà ou je veux aboutir au terme du roman.
Ensuite, on pour se rendre à un endroit, on peut passer par le nord, le sud, les petites routes, les autoroutes, on finira toujours dans le Maine… Pour peu, bien entendu, qu’on ne perde jamais de vue cette destination finale. Tout n’est plus qu’itinéraire. Transposés au roman, les mots, les paragraphes et les chapitres deviennent des routes qui doivent vous mener à bon port.

29 octobre : manuscrit terminé!
Le livre est terminé. J'ai adoré l'écrire. J'ai ri, j'ai presque pleuré. J'ai fouillé au plus profond de moi-même pour extraire mon meilleur. L'écriture c'est du bonheur. En comptant les 40 pages des épilogues de rêve qui seront plus tard supprimées (voir chapitre effacé). J’ai sur mon écran 330 pages noircies. Pour la première fois, je décide de les imprimer. Quel sentiment de fierté de pouvoir tenir en main un si gros pavé de pages. On dirait un vrai livre! Je flotte dans une douce euphorie. La joie d’être parvenu à l’ultime page me brouille cependant un peu la vue. Non, plutôt beaucoup.
Je m’étais tenu à ne jamais envisager contact avec quelconque éditeur avant de terminer le manuscrit. Quand mes amis du Café République me demandaient « As-tu un éditeur? », je répondais inlassablement « J’y penserai le temps venu ».
Mais là, je ne prends pas le temps. Je me mets soudain en tête de publier mon roman en même temps que la sortie du film Ma fille, mon ange prévue en février 2007. J’envisage alors une sorte de cross-marketing. La publicité faite au film ne pouvant que rejaillir sur mon roman. Mais ce que j’ignore alors, c’est que si mes 330 pages imprimées ressemblent à un livre, elles sont bien loin d’être déjà un livre…
J’effectue une première relecture très rapide. Non seulement je suis dans l’urgence, mais je n’ai absolument aucun recul sur mes mots et mon texte. Mes corrections ne concernent que quelques détails. Je constate bien quelques passages très laborieux, mais je n’ai pas le temps. Une relation accepte de me corriger. Mais je ne lui laisse que deux jours pour faire l’ouvrage…

3 novembre 2006 : Trouver un éditeur…
Je ne connais aucun éditeur. Il me faut donc opérer comme je l’avais fait pour entrer dans le monde du cinéma. Passer par les standards ou les sites internet me paraît rapidement une solution en cul-de-sac. Je découvre sur les sites que les maisons d’édition prétendent recevoir plus de 800 manuscrits par an pour ne publier que deux ou trois « premiers romans » par an. Les réponses promises varient entre 3 et 6 mois. J’envisage un instant d’envoyer mon texte à tous les éditeurs du Québec, mais j’y renonce vite. Je n’ai pas envie d’attendre au minimum 3 mois et j’ai peur qu’on me pique mon idée. Je ne parle pas de mon histoire, mais juste de mon thème : le grand verglas de 1998. Il reste encore 14 mois pour en saluer les 10 ans. Largement le temps pour un éditeur de publier un livre, recueil, nouvelles sur le sujet. Je n’ai donc pour seule solution que de regarder dans mon entourage qui, de près ou de loin, oeuvre dans le monde de l’édition…

Mi-novembre : premier rendez-vous avec un éditeur
J'ai un rendez-vous avec un éditeur! Je suis galvanisé par les quelques lectures faites par des amis autour de moi. Elles sont dans l’ensemble très positives, mais je n’ai pas pris soin de faire quelques modifications que ce soit, malgré les remarques. Le rendez-vous est charmant. L’éditrice m’a offert une heure et demie de son temps, deux jours après notre premier contact téléphonique alors qu’elle était au milieu d’un cocktail en plein Salon du livre de Montréal. J’étais recommandé par une « star » de l’édition, elle me promet donc de me lire en quelques jours. Tout ne se déroule pas comme dans un rêve. C’est bien mieux qu’un rêve…

19 novembre 2006 : Quand mon passé n'est pas simple...
L’éditrice me rappelle. Je conduis, il y a de la neige sur mon pare-brise. Elle est toujours aussi agréable, mais je sens que son ton a perdu beaucoup d’enthousiasme. Elle me dit avoir beaucoup aimé l’histoire, vraiment beaucoup. Mais elle me précise rapidement qu’on est encore bien loin de pouvoir envisager une lecture « paragraphe par paragraphe». Par ailleurs, elle ajoute que le manuscrit est trop « québécois », qu’on ne parle pas comme ça « icitte », et qu’il n’y a que Michel Tremblay qui peut se permettre cela. Elle me propose de retravailler mon texte avant d’envisager quoi que ce soit. Elle me suggère d’utiliser le passé simple et l’imparfait. Pour publier, on est prêt à tout, non? Je fais un essai sur 2 chapitres, je déteste. Je consulte un ami, écrivain reconnu, qui à la lecture de ces pages me conforte dans mon opinion. Le passé simple alourdit considérablement mon propos, c’est un enfant qui écrit. À 11 ans on n’use que rarement de cette conjugaison. Il me propose au passage de me présenter Patrick Leimgruber, son agent littéraire. Je ne donne pas suite. Dans ma précipitation, j’ai peur que cela ne retarde encore plus mon processus de recherche d’éditeurs. Je rappelle l’éditrice en précipitant la rupture. D’un côté, je ne souhaite pas effectuer ce changement majeur de conjugaison, de l’autre, j’ai déjà pris contact avec deux autres éditeurs…

NB : J’ai revu cette éditrice lors du Salon du Livre 2007. Le hasard faisant toujours drôlement les choses, son stand était accolé au grand studio de la SRC dans lequel j’ai eu mes 5 minutes de gloire en étant l’invité de Christiane Charrette. Dès que je suis allé vers elle pour la saluer, j’ai senti une petite gêne. Je l’ai vite dissipée. J’avais commis une erreur majeure que trop de confrères débutants ont dû commettre : donner à lire à un éditeur un manuscrit insuffisamment abouti. En relisant aujourd’hui cette version du 29 octobre, je dois admettre qu’elle était bien « jeune », une sorte de brouillon. Je lui ai précisé que ce fut la cinquième version qui fut immédiatement acceptée par André Gagnon, de chez Hurtubise HMH. Je l’ai senti soulagée et nous nous sommes quittés après qu’elle m’eut dit qu’elle espérait tout de même qu’on travaille un jour ensemble. En quittant le stand, je me suis demandé quelle aurait été la réponse d’André Gagnon à la lecture de cette première version du manuscrit. Sans avoir fait le test avec lui, j’ai le pressentiment qu’en me disant qu’il y avait encore du travail, il l’aurait immédiatement acceptée… Je devrais lui demander de le lire. Et pour le reste, je ne compte pas changer d’éditeur un jour…

4 décembre : Faites vos prix...
Une relation, personnage important de l’industrie littéraire, a lu mon manuscrit, l’a aimé et m’a donné deux contacts d’éditeur. Le premier est très lent dans ses réponses. Le second m’a vite donné rendez-vous…
J’ai vaguement retravaillé mon texte. Il est meilleur que la première version. Au fond, cette nouvelle mouture est la première version puisque la précédente n’était qu’un brouillon. Même si j’ai hâte de le rencontrer, j’ai perdu de ma folie. Sortir mon roman en même temps que le film n’est plus possible et de toute façon je commence à pressentir que ça ne serait pas une bonne idée…
L’entretien est très chaleureux. On se croirait vraiment dans une vieille maison d’édition du siècle dernier. L’éditeur me le confirme en m’exprimant être allergique à l’informatique. Je le crois, il n’y a pas d’ordinateur sur son bureau et je suis certain qu’il a caché une vieille Remington quelque part. Très vite, je me rends compte que nos objectifs diffèrent. Il me dit, « Vous savez, ce qui compte pour moi, ce sont les Prix littéraires, les ventes ne m’intéressent absolument pas ». Je lui rétorque du tac au tac : « Ben moi, c’est les ventes qui m’intéressent ». Nous nous découvrons des amis communs alors il me promet de lire pendant les fêtes. Il tiendra sa promesse. Sa réponse téléphonique si polie et respectueuse, au fond, me soulage « Je ne vous dis pas que c’est bon ou pas bon, juste que ça n’est pas le genre d’ouvrage que je souhaite publier. Ça n’est pas le style de la maison. Mais je pense que vous trouverez l’éditeur qui vous conviendra, c’est important ».
Tout en découvrant que mon texte n’aura que peu de chance de concourir un jour pour un Prix littéraire, cet entretien me fait beaucoup réfléchir. Ce que vient de me dire cet homme prévaut également dans le cinéma. Le producteur ou l’éditeur n’est pas une « matière première » brute, purement fonctionnelle. Il faut qu’il y ait osmose, partage du point de vue éditorial entre lui et l’auteur.

NB : Cette rencontre confirme que l'éditeur n'est profondément qu'un être humain qui ne détient aucune vérité, se contentant de surfer sur ses certitudes et perceptions. On dit de quelques ouvrages qu'ils sont taillés pour gagner des prix. Souvent, ils ont été écrits avec cette intention. Je n'y ai jamais pensé, je ne l'ai jamais espéré, pourtant "Le froid modifie la trajectoire des poissons" figure dans la liste préliminaire des 12 titres retenus en vue du Grand prix des libraires du Québec 2008. J'avoue avoir eu une pensée amicale, respectueuse, mais amusée en imaginant cet éditeur découvrir dans Le Devoir la liste 12 titres retenus. Surtout que HMH y place deux titres, contre un seul pour lui. Comme quoi, les détecteurs de Prix littéraires, c'est comme une liaison Wifi dans un café : ça marche quand ça le veut bien...

9 Janvier 2007 : Je ne le sens pas
La réponse du second éditeur que m’avait recommandé mon ami me confirme l’idée de l’osmose : « Si vous pensez que notre maison correspond au profil que vous recherchez, nous sommes tout à fait disposés à lire votre manuscrit… ». Ce jour-là, je dépose mon manuscrit chez cet éditeur reconnu, mais je n’ai pas l’entrain coutumier. Je n'ai pas apprécié le style de son courriel. Étrange sensation. Mais je me fie toujours à mes sensations... De plus, je ne sais pas si mon roman l’intéresse vraiment ou s’il ne fait que renvoyer poliment un ascenseur à l’ami qui m’avait recommandé à lui. Même si sur son site internet, il promet une réponse dans les 3 mois, il me garantit une réponse rapide…
Je ne sais pas pourquoi, mais je ne le sens pas. J'ai envie d'être désiré, pas de "pitcher". Je décide d’entamer la réécriture de la version remise la veille. Il n’est pas dans mes projets de l’envoyer pour remplacer la précédente auprès du comité de lecture. C’est juste que j’ai déjà la conviction que mon avenir n’est pas là.

16 février 2007 : Un samedi de chien...
Après la version du 10 janvier, j’en ai encore écrit une nouvelle. Je peux prétendre à un manuscrit qui tient debout. Mais mon actualité est la sortie du film Ma fille, mon ange. Cela me détourne un temps des tribulations du livre.
Même si le film fait la une de tous les journaux, cette période est noire. J’ai hâte que les beaux jours arrivent.

19 mars 2007 : Un vrai écrivain!
Deux semaines plus tôt, j'ai donné mon manuscrit en lecture à Pierre, mon ami écrivain, qui a derrière lui une dizaine de romans publiés. On se retrouve dans notre petit restaurant. Il pose le manuscrit devant lui et me dit « Pierre, maintenant tu peux dire que tu es un vrai écrivain ». C’est au fond la plus belle chose qu’on ne m’ait jamais dite sur le roman. Il me donne un tas de petits conseils qui portent essentiellement sur la présentation et me demande alors où j’en suis de ma recherche d’éditeur. Je lui fais part, sans conviction, ni envie, de ce manuscrit déposé au mois de janvier. Immédiatement, il me reparle de Patrick Leimgruber, son agent littéraire. Cette fois-ci, je l’écoute avec beaucoup d’attention. Il me dit tout le bien que l'on peut dire d'un homme et m'assure qu’avec son expérience, il saura trouver l’éditeur qui me convient. Il n'en doute pas. Je m’en veux de ne pas avoir écouté Pierre quatre mois plus tôt. La précipitation c'est l'aveuglement de trop d'assurance. Pierre me donne les coordonnées de Patrick et me promet de l’appeler rapidement pour me recommander à lui. En rentrant chez moi, je me retrouve avec un énorme et incroyable problème. Avant de contacter cet agent littéraire, je dois m’assurer que l’éditeur qui est en train d’étudier mon manuscrit va répondre non. Comme cela fait environ 3 mois que je le lui ai déposé, la réponse ne devrait pas tarder. Pour me rassurer, je me dis qu’un éditeur ne peut prendre autant de temps pour une réponse positive. Je passe alors une semaine paradoxale : moi, l’auteur qui veut se faire éditer, j’attends une réponse négative d’un éditeur… le pire, c’est qu’elle ne vient pas.

Vendredi 28 mars : quand je prie pour qu'un éditeur refuse mon manuscrit...
Ce matin, Pierre me rappelle, Patrick Leimgruber a adoré le thème du roman et les propos de mon ami ont fait en sorte qu’il a hâte de lire et attend avec impatience mon appel. Je suis dans la merde, il me faut absolument la réponse négative de l’éditeur avant de lui parler! Puis-je, moi, apprenti écrivain, le contacter pour lui dire que je ne veux pas qu’il me publie? C’est impossible parce qu’il est certain que l’agent littéraire le connaît. Ça ferait trop mauvaise impression. Les agents doivent également travailler en pleine confiance. J’appelle tout de même l’éditeur. Je tombe sur la charmante jeune fille qui fut mon contact chez eux. En restant flou dans mes propos, j’insiste pour obtenir une réponse rapide. Je la soulage en lui disant que je comprendrais le refus, c’est la game, etc. Elle me promet de faire son maximum pour connaître la décision du comité de lecture…
En début d’après-midi je pars à l’aéroport chercher ma mère qui vient de France. J’attends, j’attends, elle ne sort pas. Mon cellulaire sonne, c’est peut-être l’éditeur qui va me confirmer son refus? Non, c’est Patrick Leimgruber, l’agent littéraire à qui j'avais laissé un message!
On parle longuement. Ma mère arrive à ce moment, mais je ne peux raccrocher. À L’autre bout du fil, il me dit son enthousiasme, le sujet le touche beaucoup. Je suis aux anges. Ma mère se demande pourquoi je ne raccroche pas. Patrick me dévoile que son fils a été conçu pendant la tempête du verglas… Il veut lire au plus vite. Si mon roman correspond à ce que lui a dit Pierre, il a déjà en tête un éditeur. Je lui promets donc de lui déposer le manuscrit le soir même... Je suis cependant mal à l’aise puisque je n’ai toujours pas ma réponse négative… Mais la chance est au rendez-vous, la charmante jeune fille a tenu sa promesse. Quand je rentre chez moi, dans ma boite de mail, la délivrance. L'éditeur annonce son refus en ces mots : "Ses partis esthétiques nous semblent trop s'éloigner de ceux des textes que nous publions dans notre collection de littérature". Je me fends d’une réponse polie pour accepter « beau joueur » son refus. Je n’oublie pas de le remercier de son intérêt et lui demande, par jeu, de m'expliquer ce que veut dire "partis esthétiques'. Il ne m'a jamais répondu. Si je le croise un jour, je lui reposerai la question.

NB : J'ai su "par la bande" que cet éditeur s'était présenté sur le stand HMH au Salon du livre et en voyant la pile de mes livres s'était écrié "Ah, les fameux poissons!". N'ayant pas cherché à en savoir plus, je n'en sais pas plus. Mais même s'il est bien établi sur la place publique et bénéficie d'une belle notoriété, je ne nourris aucun regret, mais vraiment aucun. Je ne l'ai jamais senti. Peut-être est-ce sa ligne éditoriale qui ne me convenait pas. Non, en fait, c'est son attitude éditoriale qui ne me convenait pas...

Lundi 31 mars : la dernière ligne droite
Patrick Leimgruber me rappelle. Il a adoré le manuscrit. Ça lui rappelle Pennac. Il sait à qui il va le proposer. Je lui raconte alors mes péripéties avec mes 3 éditeurs. Ça l’amuse. Tout cela ne représente que collines comparé à ceux qui ont dû gravir des montagnes pour publier un premier roman. Il me demande de lui adresser une version numérique de mon manuscrit pour l’envoyer à André Gagnon, de chez Hurtubise HMH. Le suspens sera de courte durée… 9 jours!
La suite ne sera qu’un grand rêve. Rapidement André Gagnon se met à lire. En milieu de lecture il avoue à mon Patrick « déguster les pages ». Le lundi suivant, soit une semaine après que l’agent littéraire m’eut confirmé qu’il me représentait, j’apprends que mon manuscrit a été affublé d’un post-it sur lequel André à écrit « Toutes affaires cessantes » à l’attention du comité éditorial. Deux jours plus tard, mon agent me confirme que mon manuscrit deviendra roman à l’automne chez Hurtubise HMH, et de plus, il le sera hors collection afin, selon André Gagnon, de lui donner toute la personnalité qu'il mérite. Ma mère patauge dans le grand bonheur que seules peuvent éprouver les mères fières de leur fils. Publier un roman, c'est le plus beau cadeau que je pouvais lui faire. Encore aujourd'hui, elle doit lire de 100 à 200 livres par an. Son appartement croule sous les livres. A la maison, dans le train, en vacances, je l'ai toujours vue avec un livre en main. Après avoir été historienne médiéviste, elle a dirigé la bibliothèque de la maison de la radio pendant plus de 20 ans. Aujourd'hui, à plus de 75 ans, elle vient de créer une minibibliothèque uniquement dédiée à la Commune de Paris. Alors, un fils qui va publier un roman, imaginez...

Ça ne m’a pris que 7 mois entre ma première ligne écrite et l’assurance d’un éditeur de me publier. Sans vouloir choquer qui que ce soit qui attend peut-être encore la réponse d’un éditeur, ce temps fut long à passer. On ne peut jamais refaire l’histoire. Je reste persuadé que pour avoir la chance de me retrouver chez HMH, il me fallait vivre les expériences précédentes. J’ai trouvé la maison d’édition qu’il me fallait, à dimension humaine, avec pour interlocuteur André Gagnon, un homme merveilleux.
Même si ce périple n’est « qu’historiette » pour ceux qui ont dû attendre des années pour publier, elle m’a donné à réfléchir pour m’amener à quelques conclusions. Tout d’abord, il ne faut jamais remettre à un éditeur une version trop jeune, insuffisamment travaillée. Au-delà du refus, on risque de traîner une mauvaise image que seule pourra sauver une publication ultérieure, si possible avec du succès. Par ailleurs, il ne faut pas se jeter sur n’importe quel éditeur. Chaque maison d’édition a son style, sa ligne éditoriale, il convient de l’étudier soigneusement afin de déterminer les compatibilités possibles. Cela dit, pour être franc, j'ai déjà croisé des producteurs, échangé longuement avec eux, sans jamais être capable de détecter la moindre profondeur éditoriale. Je suppose que "le monde" littéraire possède également son quota...

Du manuscrit au livre
On croit avoir accompli le chemin le plus difficile en signant avec un éditeur, mais le plus dur reste à accomplir. Un manuscrit est volatile. On peut à tout moment y opérer des changements, y faire des essais. En fait, on sait toujours que l’on pourra corriger plus tard…
Lorsque votre manuscrit entre dans la chaîne de l’édition, il n’en est plus de même. On travaille désormais sans filet. Bien entendu, les correcteurs sont là, mais vos décisions d’auteur deviennent finales, on ne pourra plus y revenir. Dans mon cas, j’ai eu à effectuer deux rondes de corrections. La première, avec André Gagnon, mon éditeur porte essentiellement sur le propos, le style général, l’à-propos de certains passages et, bien entendu, les fautes et coquilles. La seconde, la plus terrifiante, quand le correcteur se met à l’ouvrage, une correctrice dans mon cas. Ce qui rend cette étape si délicate, c’est que pour la dernière fois vous pouvez agir sur le texte. Vos acceptations ou refus de corrections sont sans appel. Il faut être minutieux, relire et se relire pour aboutir à l’intime conviction. Les relectures qui suivent se passent entre l’éditeur et les correcteurs. Il ne vous reste plus qu’à les découvrir quand votre livre sera édité.
La couverture...
J'ai reçu de très nombreux compliments sur la couverture. Je suis bien forcé de les accepter, mais je n'y suis absolument pour rien! L'unique mérite en revient à Polygone studio et André Gagnon. Je n'ai fait que l'approuver lors de mes vacances dans le Maine. J'avais bien une idée mais ça s'est révélé être une véritable catastrophe. Pour une belle aventure vers le livre, je vous recommande cette organisation : l'auteur écrit, l'éditeur édite, le graphiste dessine et l'imprimeur imprime. Quand l'un commence à vouloir se mêler du travail de l'autre, ça ne donne jamais rien de bon. Je le sais maintenant...

Le 9 octobre 2007 : Je tiens mon livre en main
Je me rends chez Hurtubise HMH pour prendre en main mon premier roman. C’est une belle émotion. La couverture est magnifique. André Gagnon est autant ému que moi en me le remettant. La première phase de l’aventure est maintenant terminée. Dans une semaine se tiendra le lancement (voir photos), puis le début de la promotion, puis les premières critiques.

Je suis désormais un écrivain.